Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A propos de livres...
16 décembre 2009

Si même les arbres meurent – Jeanne Benameur

si_m_me_les_arbres_meurent si_m_me_les_arbres_meurent_2

Édition Thierry Magnier – septembre 2000 – 111 pages

Présentation de l'éditeur :

Seuls dans un couloir d’hôpital, un frère et une soeur attendent que leur mère quitte la chambre de son mari. Cet homme, leur père, est dans le coma entre la vie et la mort. Cette femme est toute entière à sa douleur.
Spectateurs impuissants de cette souffrance d’adulte, les deux enfants s’inventent un univers à leur démesure. Peuplé d’histoires de héros qui ne meurent jamais, de pères plus forts que la mort...

L’issue de ces insupportables jours d’attente leur apprendra que seul l’amour ne meurt jamais...

Auteur : Née en 1952, en Algérie d'un père tunisien et d'une mère italienne, Jeanne Benameur vit en France depuis l'âge de 5 ans. Elle débute sa carrière d'écrivain avec des livres de jeunesse comme 'Samira de quatre routes' ou 'Adil coeur rebelle', avant d'ouvrir son registre à la littérature pour adulte. Longtemps enseignante, elle se consacre désormais à l'écriture. Ses livres : Les Demeurées (2000), Si même les arbres meurent (2000), Un jour mes princes sont venus (2001), Les Mains libres (2004), Présent ? (2006), Laver les ombres (2008)

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Mathieu et Céline sont dans la salle d’attente de l’hôpital. Leur papa vient d'avoir un accident d'alpinisme et il est dans le coma. Leur maman, Dominique est effondrée. Chaque jour, Dominique vient au chevet de son mari et les enfants arpentent les couloirs de l'hôpital, ils s'inventent un monde imaginaire où leur papa est "Grand aigle" qui se bat pour vaincre les danger de la montagne, Mathieu est Aigle Brun, Céline Petite Montagne. Ils se réfugient et s'isolent dans leurs histoires imaginaires et refusent le monde extérieur comme l’école, les copains, l’institutrice.

Ce livre est à la fois bouleversant et poétique. Il aborde le thème de la mort d'un proche avec beaucoup de simplicité et de pudeur. Il se lit très facilement, les phrases sont courtes et simples. C'est un livre qui peut être lu aussi bien par des collégiens que des adultes. A découvrir sans modération.

Extrait : (page 11)

L'infirmière de garde vient de passer à nouveau. A nouveau elle s'est sentie saisie à la vue des deux enfants. Pris en bloc. Dans quelque chose qu'elle a du mal à nommer. Non, ce n'est pas du chagrin. Elle préférerait. Le chagrin, elle connaît. Elle en voit des gens de toutes sortes, de tous milieux, faire connaissance brutalement avec le chagrin.

Ça effondre. Ça pulvérise à l'intérieur. Comme une falaise rongée par des années de vagues et qui, tout à coup, laisse partir un gros bloc de rocher ; et puis un autre, et un autre encore. La falaise se ruine. Un nuage de poussière, de calcaire, dans un grand fracas. Elle s'écroule. Il a suffit d'une tempête : coups de vent plus forts, vagues plus mordantes.

C'est ça les chagrins qu'elle reconnaît ici, Paula. Elle voit venir la fissure chez ces gens qui attendent, qui attendent de savoir ce que la vie décide dans le corps de ceux qu'ils chérissent.

Parfois, le soir ou le matin, quand elle rentre chez elle, elle se sent ravinée elle aussi par toutes ces vagues de souffrance qu'elle a vues à l'œuvre. Et elle pense alors qu'elle fait un drôle de métier.

Mais chez ces deux enfants, il n'y a rien de tel. Ils sont dressés dans une autre attente. Comme tenus de l'intérieur. Et tout entiers pris là-dedans. Elle se demande s'ils l'entendent vraiment, s'ils la voient. Plusieurs fois, elle leur a proposé un chocolat chaud de la machine, tout près. La petite fille secoue la tête. Le garçon articule « Non merci, madame », d'une voix très nette et lointaine à la fois. L'infirmière se sent de trop auprès d'eux. D'habitude, on aime sa présence. Elle rassure.

Elle retourne à sa petite salle de garde, se refait un café, jette un coup d'œil sur ses fiches. Leur père ne s'en sortira pas. Ou tellement diminué. Elle revoit leur mère avançant à pas pressés, maladroits, à côté du chariot, les yeux rivés aux paupières closes de son époux, la main effleurant l'autre main, n'osant presque plus toucher. Elle prend un magazine qu'elle feuillette, n'arrive pas à lire.

Les deux enfants sont là, dans la salle d'attente. Elle ne sait pas quoi faire. C'est elle qui a le cœur gros tout à coup. Fichu métier !

Publicité
Publicité
15 décembre 2009

Le secret du rabbin – Thierry Jonquet

Jonquet_secret_rabbin_G1  le_secret_du_rabbin_  le_secret_du_rabin_p

Éditions Joseph Clims - février 1986 -

L'Atalante – juin 1998 – 235 pages

Folio – mars 2001 – 278 pages

Présentation : Ils sont quatre : Moses, le gangster new-yorkais ; Léon, le fringant officier de la "bonne société" française ; David, le nouveau bâtisseur de la "Terre promise" ; et Rachel, la pasionaria bolchévique. Tous quatre invités à venir prendre possession de l'héritage de leur oncle, pauvre vieux rabbin quelque peu excentrique, dans un petit village polonais. Invitation qu'ils traitent par le mépris.
C'est sans compter avec le destin, le concours des circonstances, le hasard ou la malice de l'auteur, au choix. Les voici tous quatre dans la Pologne de l'été 1920 où la guerre fait rage. Au bout de leur trajectoire : un mystérieux "trésor" qui ne sera pas la moindre de nos surprises…

Auteur : Né à Paris en 1954, auteur de polars, Thierry Jonquet fait figure de référence dans ce genre littéraire et bien au-delà. Engagé politiquement dès son adolescence, il entre à Lutte ouvrière en 1970 sous le pseudonyme de Daumier (caricaturiste du XIXe siècle), puis à la Ligue communiste révolutionnaire l'année de son bac. Après des études de philosophie rapidement avortées et plusieurs petits boulots insolites, un accident de voiture bouleverse sa vie : il devient ergothérapeute et travaille successivement dans un service de gériatrie puis un service de rééducation pour bébés atteints de maladies congénitales, et enfin dans un hôpital psychiatrique où il exerce les fonctions d'instituteur. Inspiré par l'univers de Jean-Patrick Manchette, son premier roman, 'Le Bal des débris', est publié en 1984 bien qu'il ait été écrit quelques années plus tôt. 'Mémoire en cage' paraît en 1982, suivent 'Mygale' (1984), 'La Bête et la belle', 'Les Orpailleurs' (1993), 'Moloch' (1998) qui confirment le talent de Thierry Jonquet pour le roman au réalisme dur, hanté par la violence et les questions de société. Les événements dramatiques de l’été 2003 ont inspiré Thierry Jonquet qui nous offre, avec Mon vieux, un texte captivant sur l’étonnante réaction humaine devant l’adversité. 'Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte', paru en 2006 évoque sans tabous la violence et l'antisémitisme qui sévissent dans certaines banlieues. Thierry Jonquet a également scénarisé plusieurs bandes dessinées parmi lesquelles 'Du papier faisons table rase', dessiné par Jean-Christophe Chauzy. Plébiscité par la critique, l'une des plus élogieuses est signée Tonino Benacquista qui écrit de lui : 'Jonquet sculpte la fiction, c'est le matériau qu'il façonne pour lui donner une âme, le même que celui d'Highsmith ou de Simenon, il est difficile d'en citer beaucoup d'autres.' Alors qu'il venait de publier 'Ad Vitam aeternam', Thierry Jonquet, décède en août 2009, après avoir lutté deux semaines contre la maladie.

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Dans ce livre, Thierry Jonquet prend son inspiration dans l’Histoire (avec un grand H).

Tout commence en 1920, en Pologne, le rabbin Mordechai Hirshbaum vient de mourir à l’âge de 97 ans. Ses héritiers sont 4 neveux qui sont priés de se rendre en Pologne pour toucher leur héritage. Les 4 cousins sont très différents : il y a Moses, gangster à New-York, David, un bâtisseur du nouvel Israël, Léon, l’officier français et Rachel, la bolchevique passionnée. Au départ peu motivé pour cette héritage, ils finiront tous les quatre par faire route vers la Pologne à une époque où c'est la guerre civile et où la Pologne subit les conséquences de la Révolution de 1917 en Russie. L'antisémitisme y est très fort et la misère est également présente partout. L'auteur nous dresse des portraits sans concession de ses héros. Et même si ce livre a été publié dans une collection policière, ce livre est plutôt un vrai roman d’aventure. Et la conclusion plutôt inattendue. Encore une belle découverte de Thierry Jonquet.

Extrait : (début du livre)

La brise printanière agitait les feuilles du vieux noisetier. Au pied de l'arbre, fouillant de son bec l'humus gras, une poule caquetait. Dans les taillis, une armée de chenilles affamées partait à l'assaut du feuillage renaissant. Les pluies de mars avaient détrempé le sol et de larges flaques d'eau parsemaient la boue des chemins...
Tout près, des bruits montaient des premières maisons du village. On entendait le cliquetis des chaînes que réparait Motl, le maréchal-ferrant. Le marteau de Yankl le cordonnier frappait en cadence. Et un ronron monotone par-dessus tout cela : la machine à coudre de Moishe le tailleur. Quand les artisans se reposaient, le silence de la rue était encore troublé par les voix des enfants qui ânonnait quelque passage du Talmud, dans le heder1, près de la grand-place.

Rabbi Mordechai Hirshbaum aimait à s'assoupir à l'heure de la sieste, bercé par cette paisible mélopée qui enveloppait le village. Assis dans son grand fauteuil, au premier étage de sa maison, protégé du soleil par l'ombre du vieux noisetier, le rabbi méditait. Vêtu de son large caftan élimé, ceint de son gilet effrangé, coiffé d'un streiml2 dont la fourrure abritait quelques mites, appuyé sur sa canne, il caressait d'un doigt distrait sa longue barbe blanche. Ses yeux d'un bleu délavé contemplaient la campagne et les maisons de Niemirov, un shtetl3 perdu au fin fond de la Galicie.

La maison du rabbi était envahie d'un désordre indescriptible. Les meubles poussiéreux servaient de refuge aux vers, et, sur les étagères de la bibliothèque, les toiles d'araignées couvraient presque totalement les volumes du Talmud, du Zohar et de la Guemara. Un morceau de beigel4 rassis, oublié sur une soucoupe, se voyait offert en pâture à un essaim de souris dont le museau frémissait de terreur à chaque soupir de rabbi.

Car le rabbi soupirait abondamment. Confusément, sans se prévaloir de quelque obscur don de devin, il pressentait que les temps à venir ne seraient pas cléments pour le peuple d'Israël. Mordechai Hirshbaum ne vivait pas coupé du vaste monde. Toutes les semaines, le courrier de Lvov apportait un ballot de journaux pour le rabbi. Les titres démontraient que les préoccupations de Mordechai étaient éclectiques : on pouvait relever des revues polonaises, bien entendu, mais surtout allemandes, russes, et même américaines ! L'employé de la poste qui livrait la presse n'y jetait même pas un coup d'œil. Et dans tout Niemerov, Rabbi Mordechai Hirshbaum passait pour un illuminé. Aussi, personne ne s'étonnait de le voir abonné à tant de journaux aux noms si énigmatiques.

1 heder : école primaire traditionnelle.

2 streiml : chapeau ceint de zibeline porté par les juifs orthodoxes.

3 shetetl : bourgade juive de Pologne

4 beigel : petit pain rond

Déjà lu de Thierry Jonquet :

Ils_sont_votre__pouvante Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

les_orpailleurs_p Les orpailleurs  mon_vieux Mon vieux

du_pass__faisons_table_rase_p Du passé faisons table rase ad_vitam_aeternam_p Ad vitam aeternam

m_moire_en_cage Mémoire en cage  moloch_p Moloch  mygale_p Mygale

13 décembre 2009

Mon enfant de Berlin – Anne Wiazemsky

mon_enfant_de_berlin Gallimard – août 2009 - 247 pages

Présentation de l'éditeur :

En septembre 1944, Claire, ambulancière à la Croix-Rouge française, se trouve à Béziers avec sa section, alors que dans quelques mois elle suivra les armées alliées dans un Berlin en ruine. Elle a vingt-sept ans, c'est une très jolie jeune femme avec de grands yeux sombres et de hautes pommettes slaves. Si on lui en fait compliment, elle feint de l'ignorer. Elle souhaite n'exister que par son travail depuis son entrée à la Croix-Rouge, un an et demi auparavant. Son courage moral et physique, son ardeur font l'admiration de ses chefs. Ses compagnes, parfois issues de milieux sociaux différents du sien, ont oublié qu'elle est la fille d'un écrivain célèbre, François Mauriac, et la considèrent comme l'une d'entre elles, rien de plus. Au volant de son ambulance, quand elle transporte des blessés vers des hôpitaux surchargés, elle se sent vivre pour la première fois de sa jeune vie. Mais à travers la guerre, sans même le savoir, c'est l'amour que Claire cherche. Elle va le trouver à Berlin.

Auteur : Née en 1947, Anne Wiazemsky est la petite-fille de l'écrivain François Mauriac par sa mère Claire Mauriac. Elle est issue de la famille princière russe des Wiazemsky qui émigra en France après la révolution de 1917. Ses romans sont souvent influencés par l'histoire de sa famille. Anne Wiazemsky a également été actrice de cinéma. Sa carrière cinématographique a commencé en 1966 avec Au hasard Balthazar de Robert Bresson. On l'a aussi vue dans un rôle secondaire dans Rendez-vous d'André Téchiné en 1985. Elle a été mariée à Jean-Luc Godard de 1967 à 1979. Son frère, Pierre Wiazemsky, est un dessinateur humoristique sous le pseudonyme de Wiaz. Elle a adapté, avec Jacques Fieschi en 1997, Souvenirs avec piscine de Terence McNally, au Théâtre de l'Atelier à Paris.

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Livre lu dans le cadre du challenge « Les coups de cœurs de la blogosphère », proposition de Clarabel

A partir du journal de sa mère, Anne Wiazemsky raconte l'amour naissant entre Claire Mauriac, fille de François Mauriac, et Yvan Wiazemsky, prince russe en exil. Nous sommes en 1945 dans Berlin en ruine, elle est ambulancière de la Croix-Rouge, il travaille pour un organisme des personnes déplacés du côté des alliées français.

Une belle histoire d'amour romanesque entre Claire et Wia, si différents mais comme on dit souvent « les contraires s'attirent et se complètent ». Le style est simple et fluide, le livre se lit vraiment facilement. Cela n'a pas été le coup de cœur, mais j'ai passé un très bon moment de lecture.

Extrait : (début du livre)

En septembre 1944, Claire, ambulancière à la Croix-Rouge française, se trouve encore à Béziers avec sa section. Elle a vingt-sept ans, c’est une très jolie jeune femme avec de grands yeux sombres et de hautes pommettes slaves. Si on lui en fait compliment, elle feint de l’ignorer. Elle n’a pas le temps de se contempler dans un miroir, ou alors fugitivement et toujours avec méfiance. Elle souhaite n’exister que par son travail depuis son entrée à la Croix-Rouge, un an et demi auparavant. Son courage moral et physique, son ardeur font l’admiration de ses chefs. Ses compagnes, parfois issues de milieux sociaux différents du sien, ont oublié qu’elle est la fille d’un écrivain célèbre, François Mauriac, et la considèrent comme l’une d’entre elles, rien de plus. Cela la rend heureuse. Elle aime ce qu’elle fait, la nécessité de vivre au jour le jour. Au volant de son ambulance, quand elle transporte des blessés vers des hôpitaux surchargés, elle se sent vivre, pour la première fois de sa jeune vie. Une vie sans passé, sans futur. Une vie au présent.

De sa chambre, elle regarde les toits de Béziers, la lumière dorée de la fin d’après-midi sur les tuiles. Des cloches sonnent. Sur la grande table qui lui sert de bureau, son précieux poste de T.S.F. et un bouquet de roses de jardin. À côté du vase, le cahier où elle relate quand elle peut le récit de ses journées : son journal. Autour, de nombreuses photos de ses parents, de ses frères et de sa sœur avec son bébé. Une autre, un peu à l’écart, représente un jeune homme en uniforme de soldat qui se force à sourire. Parfois, elle le contemple attendrie, amoureuse, mais maintenant, de plus en plus souvent, elle l’évite.

Ce jour-là, elle est juste attentive à ce qu’elle éprouve, un bien-être physique dû à la douceur de l’air et à un copieux repas constitué de tomates, d’œufs et de prunes trouvées dans une ferme abandonnée. Bientôt il y aura d’autres repas, bientôt elle cessera d’avoir faim. Malgré les combats qui continuent, la guerre n’est-elle pas presque finie ?

Une question alors s’impose : doit-elle rejoindre sa famille comme celle-ci le lui demande ou bien lui désobéir et suivre les armées ? La plupart de ses compagnes ont déjà fait un choix dans un sens ou dans l’autre.

Claire allume une cigarette. Inspirer la fumée, la rejeter par les narines est un plaisir dont elle ne se lasse pas. Même aux pires moments, fumer une cigarette, n’importe laquelle, l’aide à affronter le quotidien, à trouver en elle le détachement nécessaire. Un jeune lieutenant dont elle vient de faire la connaissance lui a offert toute une cartouche qu’il tient de l’armée américaine. En échange, elle doit lui faire visiter la région. Mais ils n’ont pas pris de rendez-vous, ce soldat peut être appelé à rejoindre le combat dans les jours qui viennent.

Par la fenêtre, elle regarde à nouveau les toits de Béziers. Cette ville, elle l’a aimée tout de suite et de devoir bientôt la quitter lui cause un réel chagrin. Pour aller où, ensuite ? Voilà que se repose la question à laquelle elle ne sait pas répondre.

Elle prend son cahier, s’allonge sur le lit et commence à le feuilleter comme si revoir son passé pouvait l’aider à décider de l’avenir. Elle passe très vite sur les pages concernant ses débuts à Caen puis s’attarde sur celles où elle parle de Patrice, prisonnier en Allemagne, avec qui elle correspond depuis le début de la guerre. « Mon fiancé, prononce-t-elle à mi-voix, mon fiancé... » Elle lève les yeux vers son portrait, près du vase de fleurs et le contemple avec attention. Il lui semble qu’elle ne se souvient plus aussi exactement de sa façon de se mouvoir, du timbre de sa voix.

À la date du 19 décembre 1943, lors d’un bref passage à Paris, elle a noté :

« Journée tout entière passée chez les parents de Patrice alors que je n’y étais venue que pour le déjeuner. C’est extraordinaire comme j’aime cette famille. J’ai vraiment l’impression d’être des leurs. Ses frères lui ressemblent beaucoup. Nous avons naturellement parlé de Patrice. Comme ils l’aiment et comme leur amour déborde sur moi. À leurs yeux, je suis celle que Patrice aime et je suis sacrée. En plus ils me trouvent très jolie.

Comme j’ai changé depuis l’année dernière ! Il y a un an, j’étais très malheureuse. Patrice n’était rien ou presque rien pour moi alors que maintenant il a pris une place qui grandit tous les jours davantage. Je pensais à lui avec ennui et j’avais presque peur de le voir revenir. Maintenant je compte les jours, je voudrais le voir, le toucher, lui parler, le remercier de tant m’aimer, de m’avoir appris à l’aimer, à l’attendre avec tant de joie et d’impatience.

Il y a un an, j’échouais à l’examen d’entrée à la Croix-Rouge. J’étais triste car je doutais de moi. Aujourd’hui, je sais que je suis capable. Ainsi, en cette fin d’année, je suis contente du chemin parcouru. Il me semble que Caen m’a fait un bien immense. Je suis moins égoïste et surtout je sais mieux apprécier le vrai bonheur. Je suis moins blasée. Je m’aime moins pour moi que pour Patrice. Je l’attends. Je prends un immense plaisir à imaginer notre appartement et ma vie à ses côtés. »

Sur les pages suivantes, Claire a minutieusement recopié les lettres qu’elle a envoyées à Patrice. Elle y relate des fragments de sa vie quotidienne mais se plaît surtout à rêver leur vie future dans un monde pacifié. Ce sentimentalisme, l’affirmation chaque fois répétée de son amour brusquement l’excèdent. « Quels enfantillages ! » pense-t-elle. Et aussitôt après : « Comme je me suis engagée ! » Elle en oublie que les lettres répondent à celles de Patrice, rangées dans sa valise et qu’elle relit rarement. « Pas le temps », dit-elle à voix haute comme si on lui en demandait la raison.

Elle ne lui a pas écrit depuis plusieurs jours et un soupçon de remords lui gâche la fin de sa cigarette. Vite, elle saute ces fâcheuses pages et allume une nouvelle cigarette au mégot de la précédente. Elle préfère revenir à des récits plus flatteurs qui, pense-t-elle, reflètent davantage la jeune femme qu’elle est devenue grâce à la guerre. Comme souvent, c’est une lettre qu’elle a recopiée avant de la faire transmettre par une de ses compagnes en permission. Celle-ci est adressée à sa famille, 38 avenue Théophile-Gautier, Paris XVIe.

« 21 août 1944 Mes adorables petits parents, je commence juste à réaliser que je suis dans un pays libre et que je peux écrire ce que je veux. Je pense terriblement à vous. Avant-hier soir, lorsque les postes de la T.S.F. criaient la libération de Paris, j’avais envie de pleurer tant j’étais triste de ne pas y être. À ce moment-là, j’aurais donné tout ce que j’ai vécu pendant ces quelques mois à la C.R.F. pour ces quelques heures à Paris. Vous devez avoir vu des choses formidables et j’ai presque honte de vous raconter le peu de choses que j’ai fait.

Pendant des jours et des jours, les convois allemands sont passés à Béziers. Nous, nous continuions nos missions sur des routes encombrées. Assise sur l’aile de la voiture, j’interrogeais le ciel. Plusieurs fois nous avons été prises dans d’énormes convois. Il nous était impossible d’en sortir, sauf quand les avions étaient au-dessus de nous, car la colonne s’arrêtait au bord de la route.

Les Alliés ont souvent mitraillé, mais jamais au-dessus de nous. On comprenait ce qui se passait à la figure des Allemands et à leurs voitures en feu.

Dimanche dernier, mitraillage de la ville. De 5 à 9 heures du soir, les tanks ont traversé la ville en mitraillant : 15 morts, 50 blessés. Imaginez votre petite Claire avec sa copine Martine et un agent mettant une demi-heure pour arriver jusqu’à mon ambulance. Le plus dangereux était la traversée des grandes avenues. On faisait un pas et on se collait contre le mur à cause d’une rafale de mitrailleuse. Nous avons fini par marcher lentement au milieu de la rue en montrant nos écussons et en levant les bras. Plusieurs fois, des fusils qui nous visaient se sont baissés. Pendant quatre heures nous avons parcouru les rues de Béziers pour relever les blessés. Les balles sifflaient partout, c’était formidable. Les Allemands n’ont jamais tiré directement sur nous. Je me suis mise à un moment entre deux tanks et un soldat allemand m’a fait signe de mettre un casque. Je n’ai pas eu peur et si ce n’était les morts et les blessés, j’aurais été folle de joie. Sans Martine et moi, un homme serait mort d’hémorragie. Il le sait et, chaque fois que nous allons à l’hôpital, il nous remercie. Cela fait plaisir et console de bien des choses.

J’ai passé les deux jours suivants de morgue en morgue. J’ai vu d’horribles blessures, une toute jeune fille morte que sa mère ne voulait pas laisser partir. Un jeune F.F.I. avec la bouche pleine de vers, etc., etc. J’ai été chercher dix cercueils pour dix morts.

Et puis les F.F.I. sont arrivés. Pas très beaux, pas beaucoup d’enthousiasme. Pendant tout un jour, ils ont tiré des toits et des rues sur des miliciens plus ou moins imaginaires. Pendant ce temps, je transportais les blessés d’un petit bombardement aérien. Les avions passaient au-dessus de nous et mitraillaient partout. Je n’ai pas eu le temps de penser que je pouvais mourir.

Hier, nous avons été appelés d’urgence pour aller chercher des blessés du maquis à Saint-Pons. J’étais d’autant plus contente que l’on disait que l’on s’y battait encore. On arriva dans un pays tout à fait calme après plusieurs jours de guerre. Les Allemands avaient complètement pillé la ville et allaient tout brûler, quand ils s’aperçurent qu’ils avaient une trentaine de blessés chez eux. Nous avons commencé à leur administrer les premiers soins, ils virent qu’ils allaient être bien soignés et ils nous dirent : “Nous ferons notre devoir comme vous faites le vôtre.” Et ils partirent. Les blessés du maquis avaient déjà été évacués et ce furent ces grands blessés allemands que nous ramenâmes à Béziers. Je suis restée une heure avec eux à l’hôpital. Ils souffraient tellement que j’en avais mal au cœur. J’aurais voulu avoir de la haine, je n’avais qu’une immense pitié et j’aurais voulu pouvoir les soulager. L’un d’eux, un pauvre gosse de dix-huit ans, avait une péritonite. Il était perdu et le médecin n’a pas voulu l’opérer. Sa main brûlante s’agrippait à la mienne et il me regardait avec des yeux tellement suppliants que je me suis mise à pleurer. Je pensais à tous ces hommes qui comme lui mouraient loin de leur famille. Je ne suis pas faite pour être infirmière, je serais trop malheureuse.

17 heures. Là, je viens d’aller chercher un homme qui est mort devant moi suite au mitraillage de dimanche. Je n’aime pas les morts mais j’aime encore moins voir sangloter les familles.

Il fait lourd, la ville est pleine de F.F.I., d’étoiles et de drapeaux. On espère voir arriver très bientôt les Américains au port de Sète. Figurez-vous que c’est à Sète, Agde, etc., qu’ils devaient débarquer. Ils n’ont demandé les plans de la Côte d’Azur que dix jours seulement avant le débarquement. ».

Lu dans le cadre du challenge coeur_vs3 proposition de Clarabel

12 décembre 2009

Tout peut arriver – Jonathan Tropper

tout_peut_arriver_ tout_peut_arriver

Fleuve noir – janvier 2007 – 384 pages

10x18 – janvier 2008 – 375 pages

traduit de l'anglais (États-Unis) par Nathalie Peronny

Présentation :

En apparence, Zach fait partie des nantis. Il vient de passer le cap de la trentaine, partage son lit avec Hope, la plus belle des fiancées, son appartement, avec Jed le millionnaire, et travaille dans une société de services. Mais si on creuse un peu, rien ne va plus. Du matin au soir, Zach pense à Tamara, la veuve de son meilleur ami. Son colocataire passe ses journées à fumer des joints dans le plus simple appareil, vautré devant la télé. Et son boulot consiste à rester suspendu au téléphone pour servir de réceptacle aux récriminations de ses clients... Tout ça avec le sourire, bien sûr ! Puis, un beau jour, Zach va devoir résoudre de vrais problèmes. Des déraillements de santé inquiétants, et surtout, la réapparition, après des années d'absence, d'un père extravagant... Pourtant, il devrait bien savoir d'expérience que tout peut arriver !

Auteur : Jonathan Tropper est né et a grandi à Riverdale, dans l'Etat de New York. Son premier roman, Plan B, a paru aux Etats-Unis en 2001. Il a écrit par la suite Le Livre de Joe, actuellement en cours d'adaptation pour le cinéma par les studios Warner, Tout peut arriver et Perte et fracas (Fleuve Noir, 2008). Jonathan Tropper vit aujourd'hui à Westchester (New York).

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Après avoir lu et bien aimé Le livre de Joe, j'ai eu envie de découvrir d'autres livres du même auteur. J'ai donc lu très facilement l'histoire de Zach. Il appartient à une drôle de famille et ses aventures familiales, amoureuses, professionnelles... nous font passer un très bon moment où le rire est souvent de la partie. Tous les personnages sont attachants. Zach est sur le point de se fiancer avec Hope, une très jolie jeune fille héritière de parents aisées. Il se découvre un souci de santé qu'il préfère partager avec Tamara la veuve de son meilleur ami qu'avec sa fiancée, son père débarque chez lui après vingt ans de silence, il est près de craquer à son travail où la position d'intermédiaire auprès duquel tout le monde se plaint devient pour lui un calvaire. Cela bouleverse sa vie et ses certitudes et réveillent ses angoisses de trentenaire

Zach appartient à une drôle de famille et ses aventures familiales, amoureuses, professionnelles... nous font passer un très bon moment où le rire est souvent de la partie. Tous les personnages sont vraiment attachants.

Extrait : (chapitre 12)
Mais Hope, c'est la conquête du siècle, celle qui n'arrive qu'une fois dans votre vie. L'incarnation même de la perfection quej'avais toujours observée de loin, plein d'espoir, convaincu que c'était le genre de fille qui, au mieux, me prendrait comme confident pour me parler de son petit ami. Et moi, je subirais cette humiliation involontaire, parce qu'il existe une forme d'amour méconnue pratiquée par la classe moyenne sexuelle, c'est-à-dire par des types comme moi qui tolérons ce genre de relation à sens unique parce que nous sommes aveuglément optimistes, ou tout simplement idiots, et que nous avons besoin de nous rapprocher de ce type de femme, même de façon purement platonique, afin de nourrir la chose laide et difforme qui vit en nous, tels des bossus tapis dans leurs clochers et bien décidés à profiter de cette beauté par tous les moyens qui leur seront accordés. Mais pour moi, le rêve est devenu réalité : je me suis élevé au-dessus de ma caste sexuelle pour décrocher une femme d'un calibre a priori inaccessible et qui m'aime vraiment en retour, par dessus le marché. Il faudrait être cinglé pour compromettre une opportunité pareille.

Extrait : (chapitre 25)

Assis là sur le carrelage de la salle de bains, genou contre genou avec Tamara, je me retiens de ne pas éclater en sanglots quand Sophie se penche délicatement pour me déposer un baiser sur la main. Il y a une telle complétude, une telle perfection, dans le visage et la position de Tamara, dans la chair potelée de Sophie et dans ses yeux innocents. Leur univers tout entier est contenu dans cette minuscule salle de bains et, plus que tout au monde, je voudrais en faire partie, me joindre à la solitude si simple de leur existence. Je pourrais aimer Tamara et l'aider à élever Sophie, m'installer avec elle et abandonner ma vieille existence médiocre. En cet instant, cela paraît incroyablement possible, juste à portée de main, et je me dis que si je pouvais rester ici pour toujours et ne plus jamais repartir, alors tout s'arrangerait.

Extrait : (chapitre 27)
'Enfin quoi, regardez-moi, nom de Dieu ! Ma famille me déteste, je suis alcoolo, j'ai fait plus de quinze boulots différents dans ma vie et je n'ai même pas dix mille dollars sur mon compte en banque. S'il y en a un qui devrait avoir peur de vivre, c'est moi. Mais je continue, tous les jours. Je renfile mon costume, je repars et je fais de mon mieux. Certains jours, cela m'amène quelque part. D'autres, non. Mais au moins, je me couche chaque soir en me disant que le lendemain m'offre une nouvelle opportunité d'améliorer mon existence. Et vous savez quoi ? Je dors à poing fermés. Comme un putain de bébé. J'ai peut-être besoin d'une pilule pour bander mais vous deux, ce qu'il vous faudrait, c'est une pilule pour l'âme.' Il hoche la tête d'un air satisfait, content de sa trouvaille.

10 décembre 2009

Cochon rouge – Erik L'Homme

Partenariat Spécial Jeunesse Blog-O-Book et Folio Junior

cochonrouge Folio Junior – novembre 2009 – 75 pages

Présentation : En Terre de Feu, à l’extrême sud du continent américain, Esteban, 12 ans, rêve de devenir «gaucho» pour surveiller les troupeaux de moutons. Il travaille pour Alexandre MacLennan, dit Cochon Rouge, un homme à la cruauté légendaire, qui porte autour du cou les oreilles des Indiens qu’il a massacrés. De son côté, Saïka, jeune Indienne selk’nam, rejoint le Nord avec son clan. Mais Helesh, jaloux de son amour pour un autre garçon il informe Cochon rouge de leur itinéraire. Arrivé au bord de la mer, le clan tombe sur des hommes armés. Schiuno, qui s’est éloigné, voit les siens se faire massacrer sous ses yeux.
Le jeune homme trouve refuge auprès du clan de Täapelt, un chef ami bien décidé à venger la tuerie. Mais ce dernier échoue moins qu’il n’y paraît : son attaque a déstabilisé Cochon rouge, qui sombre peu à peu dans l’alcoolisme et la folie. Cochon Rouge, c’est l’histoire du massacre des Selk’nam, raconté à huit voix.

Auteur : Erik L’Homme naît en 1967. Il grandit dans la Drôme provençale. Après de longues études universitaires, il part sur la piste de l’homme sauvage entre la Chine et l’Inde. À peine rentré, il embarque pour les Philippines, à la recherche d’un trésor. Revenu en France, il rédige une thèse d’Histoire et civilisation, avant de se lancer dans l’écriture du Livre des étoiles, trilogie qui deviendra célèbre.

Mon avis : (lu en novembre 2009)

Aproposdelivres :

J'ai trouvé très sympathique de pouvoir avoir l'avis de mes fils à propos d'une lecture commune. Mais cela n'a  pas été simple... Il a d'abord fallu qu'ils acceptent de lire le livre sans trop tarder puis d'écrire un billet...

Ce livre nous parle d'un lieu : La Terre de Feu, d'une époque : le XIXème siècle, de personnes : les autochtones, les indiens Selknam et les colonisateurs n'hésitant pas à massacrer les indiens pour obtenir leurs terres. La première partie de ce livre est l'histoire d'un massacre d'indiens Selknam vu par 8 narrateurs différents, cette histoire est inspirée de faits réels. Dans la deuxième partie du livre l'auteur imagine quelques légendes oubliées autour des indiens Selknam.

J'ai trouvé original la façon de raconter ce massacre et j'ai trouvé de la poésie dans les "légendes oubliées", mais ce livre m'a surtout donné envie d'en connaître un peu plus sur les indiens d'Amérique du Sud car en effet lorsque l'on parle des indiens d'Amérique jusqu'à maintenant je ne pensais qu'à ceux d'Amérique du Nord.

Pour en savoir plus sur les indiens Selk'nam : voir Wikipédia et Les indiens Selk'nam

P'tit Aproposdelivres n°1 (16 ans) :

J’avais déjà lu du même auteur, la trilogie « Le livre des étoiles » que j’avais bien aimée. Ce livre est très différent. C’est un très bon livre dénonçant les chasses à l'homme, celles des populations autochtones de la Terre de Feu au XIXème siècle. Ce livre dénonce aussi l'idée que des êtres humains puissent être réduits au rang de «gibier». Pour autant, l'auteur ne stigmatise pas les hommes par groupe : les hommes blancs n'ont pas le monopole de la perfidie... J'ai bien aimé l'approche de cette histoire avec des points de vue différents grâce aux huit protagonistes. J'ai beaucoup aimé la seconde partie et les mythologies originales des indiens Selknam.

P'tit Aproposdelivres n°2 (14 ans) :

J'ai trouvé ce livre facile à lire. J'ai trouvé très intéressante l'histoire de ces Indiens d'Amérique du Sud et je regrette que le livre soit si court, j'aurais aimé que l'histoire soit plus fouillée. J'ai quand même été gêné par le récit à plusieurs voix, je mettais un peu de temps avant de comprendre qui racontait. J'ai été moins intéressé par la seconde partie.

P'tit Aproposdelivres n°3 (11 ans) : Il n’a pas pu lire le livre à temps car il lit en ce moment Un conte de Noël de Charles Dickens pour le collège. Peut-être le lira-t-il plus tard...

Merci aux éditions Folio Junior de nous avoir fait découvrir ce livre.

Partenariat Spécial Jeunesse logobob01 et  folio_junior_logo

Publicité
Publicité
9 décembre 2009

Jan Karski - Yannick Haenel

jan_karski Gallimard – septembre 2009 - 186 pages

Prix Interallié 2009

Prix du roman Fnac 2009

Quatrième de couverture :

Varsovie, 1942. La Pologne est dévastée par les nazis et les Soviétiques. Jan Karski est un messager de la Résistance polonaise auprès du gouvernement en exil à Londres. Il rencontre deux hommes qui le font entrer clandestinement dans le ghetto, afin qu'il dise aux Alliés ce qu'il a vu, et qu'il les prévienne que les Juifs d'Europe sont en train d'être exterminés. Jan Karski traverse l'Europe en guerre, alerte les Anglais, et rencontre le président Roosevelt en Amérique. Trente-cinq ans plus tard, il raconte sa mission de l'époque dans Shoah, le grand film de Claude Lanzmann. Mais pourquoi les Alliés ont-ils laissé faire l'extermination des Juifs d'Europe ? Ce livre, avec les moyens du documentaire, puis de la fiction, raconte la vie de cet aventurier qui fut aussi un Juste.

Auteur : Yannick Haenel, romancier, essayiste né en 1967, a cofondé avec François Meyronnis la revue «Ligne de risque» en 1997. Il est l’auteur d’«Évoluer parmi les avalanches» (2003) et de «Cercle» (2007), prix Décembre et prix Roger-Nimier.

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Comme nous le précise la note de l’auteur au début du livre, ce « roman » se divise en trois parties. La première partie est une description de l'entretien avec Claude Lanzmann lors du film Shoah, nous découvrons Jan Karski 30 ans après la guerre. La seconde partie est un résumé du livre «Story of a Secret State» écrit par Jan Karski durant la guerre et paru aux États-Unis en novembre 1944, il a été traduit plus tard en français sous le titre de « Mon témoignage devant le monde ». La troisième partie est le roman à proprement dit puisque l’auteur imagine, à partir de documents, la vie de Jan Karski à partir du 28 juillet 1944, le jour où Jan Karski a pu rencontrer le président Roosevelt et lui délivrer le message de la Résistance polonaise à propos de l'extermination organisée des Juifs d'Europe. Après cette rencontre, Jan Karski a compris que les Alliés ne feraient rien pour arrêter cela. Il avait transmis le message des deux leaders juifs du ghetto de Varsovie au monde libre et cela n'a pas ébranlé la conscience du monde. Jan Karski va vivre cela comme un échec. Et il finit par se murer dans le silence. Jusqu'à son témoignage dans le film « Shoah » (et la boucle du livre est bouclée...)

Ce livre est un très beau récit sur l'histoire de ce Juste qu'est Jan Karski. Je ne connaissais pas son histoire, j'ai déjà vu deux fois le film «Shoah» de Claude Lanzmann mais je n'avais pas retenu spécialement son témoignage pourtant si fort. Les premières pages le décrivent : un homme face à la caméra, il commence à parler, mais sa voix se brise, un homme qui veut se taire et qui finalement parvient à réciter le message dont il est porteur depuis plus de trente-cinq ans.

Ce livre est vraiment émouvant et il nous amène à réfléchir sur la responsabilité du monde face à la «Shoah». La vie de Jan Karski est riche en évènements, et après avoir vu la série «Apocalypse» à la télévision, je comprends mieux la guerre qu'il a vécu du côté Polonais.

La dernière partie qui est un monologue intérieur et la grande solitude de Jan Karski suite à son "échec" m'a un peu dérangée car je ne pouvais pas distinguer ce qui était fiction et ce qui était réalité.

Même si le sujet est difficile et triste, le livre se lit vraiment facilement et on y apprend beaucoup sur l'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale.  Je vous encourage beaucoup à découvrir Jan Karski à travers ce livre.

 

 

karski

Jan Kozielewski, né en 1914 à Lodz, en Pologne, est mort en 2000 à Washington sous le nom de Jan Karski, son pseudonyme dans la Résistance polonaise. Il rejoint la Résistance après l'invasion allemande en septembre 1939 et son évasion d'un camp de Soviétiques. De janvier 1940 à août 1942, Karski sera l'émissaire de la Résistance auprès du gouvernement polonais en exil à Angers puis à Londres. Il traverse de nombreuses frontières. En mai 1940, il est arrêté et torturé par la Gestapo, la Résistance réussie à le faire évader. Fin août 1942, Jan Karski va rencontrer deux chefs de la résistance juive de Varsovie qui lui demandent de transmettre aux Alliés et aux responsables juifs du monde entier le message suivant : "Leur peuple se meurt. Il n'y aura plus de Juifs." Avec l'aide de ces hommes, Jan Karski entrera deux fois dans le ghetto de Varsovie, puis dans un camp d'extermination. L'horreur qu'il y découvre est inimaginable. Alors, Karski n'a plus qu'une idée : transmettre le message qui lui a été confié. A Londres, à Washington, à New York, les plus hauts responsables politiques, notamment le président Roosevelt, les dignitaires des communautés juives l'écoutent, sans vraiment le croire. Karski comprend vite que le sort de la Pologne et des juifs d'Europe n'intéresse personne. En 1944, réfugié à New-York, Jan Karski dicte son livre et raconte ce qu'il a vu. Son livre aura du succès, mais rien ne change. «Mes paroles avaient échoué à transmettre le message, mon livre aussi.». Dès lors, Jan Karski se taira, il deviendra enseignant dans une université américaine. En 1978, il accepte de sortir de son silence dans un entretien avec Claude Lanzmann pour le film «Shoah». Le nom de Jan Karski figure désormais parmi ceux des Justes des nations, au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem.

Dans la troisième partie, l’auteur nous décrit le choc ressenti par le héros à la vue du Cavalier polonais de Rembrandt, un jour en visitant la Frick Collection à New York “A tous les moments décisifs de ma vie, je suis allé voir Le Cavalier polonais. A chaque fois il m’a fait du bien. Car la plupart du temps, il m’est impossible de penser. Depuis 1945, je ne fais que penser, et en même temps je n’arrive pas à penser : la nuit blanche envahit ma tête, c’est elle qui pense.” 

 

rembrandt_cavalier_polonais

“Le cavalier polonais”, 1655, huile sur bois,  117 x 135 cm, de Rembrandt, Frick Collection New York

 

Extrait : (début du livre)

C'est dans Shoah de Claude Lanzmann. Vers la fin du film, un homme essaye de parler, mais n'y arrive pas. Il a la soixantaine et s'exprime en anglais ; il est grand, maigre, et porte un élégant costume gris-bleu. Le premier mot qu'il prononce est : « Now »  (Maintenant). Il dit : « Je retourne trente-cinq ans en arrière », puis tout de suite il panique, reprend son souffle, ses mains s'agitent : « Non, je ne retourne pas... non... non...» Il sanglote, se cache le visage, brusquement se lève et sort du champ. La place est vide, on ne voit plus que des rayonnages de livres, un divan, des plantes. L'homme a disparu. La caméra le cherche : il est au bout d'un couloir, penché sur un lavabo, il se passe de l'eau sur le visage. Tandis qu'il revient à sa place, son nom apparaît à l'écran : « JAN KARSKI (USA) ». Et puis, au moment où il s'assied : « Ancien courrier du gouvernement polonais en exil.» Ses yeux sont très bleus, baignés de larmes, sa bouche est humide. « Je suis prêt », dit-il. Il commence à parler au passé, au passé simple même - comme dans un livre : « Au milieu de l'année 1942, je décidai de reprendre ma mission d'agent entre la Résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil, à Londres.» Cette manière de commencer le récit le protège de l'émotion : on se croirait au début de Dante, mais aussi dans un roman d'espionnage. Il explique que les leaders juifs, à Varsovie, ont été avertis de son départ pour Londres, et qu'une rencontre a été organisée « hors du ghetto », dit-il. On comprend tout de suite que c'est de ça qu'il va parler : du ghetto de Varsovie. Il dit qu'ils étaient deux : l'un responsable du Bund, c'est-à-dire du Parti socialiste juif, l'autre responsable sioniste. Il ne dit pas les noms, il ne dit pas où a lieu la rencontre. Ses phrases sont courtes, directes, entourées de silence. Il dit qu'il n'était pas préparé à cette rencontre. Qu'à l'époque il était très isolé par son travail en Pologne. Qu'il était peu informé. Chacune de ses paroles garde trace de cet empêchement qu'il a eu au début, lorsqu'il est sorti du champ. On dirait même qu'elles sont fidèles à l'impossibilité de parler. Jan Karski ne peut pas occuper cette place de témoin à laquelle on l'assigne, et pourtant il l'occupe, qu'il le veuille ou non. Sa parole s'est brisée d'entrée de jeu parce que, précisément, ce qu'il a à dire ne peut se dire qu'à travers une parole brisée. De nouveau, Jan Karski dit : « Now » : « Maintenant, comment vous raconter ? » Pour se persuader qu'il est bien vivant, qu'il est hors d'atteinte, il rectifie à nouveau sa première phrase : « Je ne reviens pas en arrière. » C'est une phrase qu'il va répéter souvent pendant l'entretien : « Je ne retourne pas à mes souvenirs. Je suis ici. Même maintenant je ne veux pas... » Il voudrait se prémunir contre ses propres paroles, contre ce qu'elles vont révéler. Il ne veut pas que ses paroles l'exposent une fois de plus à l'objet de son récit ; il ne veut pas revivre ça. C'est pourquoi il insiste tant sur la distance : « Je n'en étais pas, dira-t-il. Je n'appartenais pas à cela. » Jan Karski dit que les deux hommes lui décrivent « ce qui arrivait aux Juifs. »

 

   

 

 

 

 

8 décembre 2009

Terminus Finistère - Roland Sadaune

terminus_finist_re Editions du Bastberg - janvier 2002 – 224 pages

Quatrième de couverture :

Le soleil de juillet caresse Quimper, et l’agent immobilier Yves Madec a la pêche… Jusqu’au jour où le « maniaque au facteur » s’intéresse à lui. Survient d’abord l’assassinat d’un collègue, puis un rythme d’homicide ne décélérant pas.

Si bien que le capitaine Pélotti, policier coriace, se demande avec appréhension s’il n’est pas en présence d’un serial killer de l’immo. Sur la marelle diabolique, le malheureux Madec se situe très inconfortablement entre le givré et le flic. Il lui faut se sortir de ce champ de mines. Alors son unique espoir est d’affronter sa propre mort, de l’autre côté des Montagnes Noires, au bout de la nuit… Mais peut-on sortir indemne d’un pareil cauchemar ?

Auteur : Né à Montmorency, de mère polonaise, Roland Sadaune se passionne très tôt de littérature policière. Et sa carrière d’artiste peintre ne l’empêche pas d’écrire romans et nouvelles.
Pour lui, le Polar c’est l’évasion par les chemins de traverse défoncés par le destin, avec des phénomènes de société dissimulés derrière les haies. Saudane, qui n’en est pas à son premier essai, apprécie le ludisme noir qui fait rire jaune.

Mon avis : (lu en décembre 2009)

J’ai pris ce livre à la bibliothèque à l’occasion 6ème édition « Lire en communauté » qui pour thème le roman policier. Il fait partie d’une collection « Les Polars régionaux » et je l’ai choisi car il se passe en Bretagne.

Un tueur en série semble s’attaquer à des agents immobiliers. Yves Madec se sent menacé car un de ses confrères a été assassiné à sa place. Le capitaine Pélotti et son adjointe Gaëlle Tanguy cherchent à résoudre cette affaire et à arrêter le coupable.

Ce livre se lit facilement, l’intrigue est assez bien construite et Quimper et sa région est décrite avec précision mais j’ai trouvé un peu faible le mobile et l’explication de ces meurtres.

Comme polars régionaux de Bretagne, je préfère la série "Mary Lester" de Jean Failler.

lire_en_communaut__2009

6 décembre 2009

6 heures plus tard – Donald Harstad

Livre lu dans le cadre du partenariat Blog-o-Book et les Éditions du Cherche-Midi

6heures_plus_tard Editions du Cherche-Midi novembre 2009 – 342 pages
Traduit par Gilles Morris-Dumoulin

Présentation de l'éditeur :

Personnage unique dans le domaine du polar, à l'instar d'un Philip Marlowe ou d'un Harry Bosch, Cari Houseman, le shérif du comté de Nation, que Donald Harstad fait bénéficier de ses vingt ans passés dans la police de l'Iowa, quitte cette fois son territoire familier pour les brumes de Londres. Envoyé en tant que " simple observateur " aux côtés du New Scotland Yard pour enquêter sur la disparition mystérieuse d'une jeune fille originaire de l'Iowa, Cari, loin de tous ses repères, est désormais seul, ou presque, pour affronter un ennemi aussi terrifiant qu'inhabituel. En suivant au jour le jour l'enquête de Carl Houseman, on retrouve le style qui a fait le succès de Donald Harstad : une écriture sèche, presque documentaire, d'un réalisme étonnant, qui analyse dans toute leur complexité les méthodes d'investigation contemporaines.

Auteur : Ancien shérif, Donald Harstad est originaire de l'Iowa. Après "Onze jours", "Code 10", "- 30 degrés", "5 octobre 23h33" et "4 jours avant Noël","6 heures plus tard" est son sixième roman publié en France.

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Avant de m'inscrire pour le partenariat B-O-B Editions Le Cherche-Midi, j'avais déjà lu quelques très bonnes critiques dans les blogs de Amanda, Cathulu et Cuné. J'avais donc hâte de découvrir ce roman policier dont je ne connaissais pas l'auteur. J'ai été moi aussi conquise !

Suite à la disparition d'une jeune fille de Maitland (Iowa), le shérif adjoint du comté de Nation, Carl Houseman, est envoyé à Londres comme simple observateur auprès de New Scotland Yard. Il va se trouver à suivre une enquête autour d'un groupuscule de terroristes amateurs «le Mouvement réformiste londonien pour la libération de Khaled al-Fawwaz et Ibrahim Eidarous ». Ce mouvement a à sa tête un professeur d'université britannique qui est sans le savoir infiltré par de vrais terroristes qui le manipule. La construction du livre est originale car le lecteur est en sait plus sur l'enquête que la police car le lecteur a aussi la vision des ravisseurs. Le personnage de Carl Houseman est attachant et l'humour est également présent, notamment lorsqu'un américain venant d'une petite ville de l'Iowa qui « débarque » à Londres certaines situations peuvent être cocasses. Le travail de la police est parfaitement décrit grâce aux connaissances de l'auteur.

En conclusion, c'est une très belle découverte qui me donne envie de lire d'autres titres du même auteur. Merci beaucoup aux Éditions du Cherche-Midi de m'avoir permis de découvrir ce livre.

Extrait : (page 97)

On traversa Church Street pour passer au bureau de l'American Express troquer des traveller's contre des livres anglaises. A près de deux dollars, exactement un soixante-dix, pour une livre, j'allais avoir tout intérêt à surveiller mes dépenses.

On retraversa la rue et, du côté sud, signalée par un large cercle rouge barré de bleu, s'ouvrait la station de métro : Kensington High Street, en lettres blanches.

Je m'attendais à une gare de chemin de fer, à une station de bus ou à, quelque chose comme ça, et c'était un centre commercial de plus, boutiques de vêtements ou d'alimentation cernant un vaste espace dégagé. Intéressant, non ?

«Tu vois cette vitrine, m'indiqua Jane, l'index pointé. C'est chez Benjy's. On y bouffe bien sans perdre de temps. Sandwiches sous emballage, salades, et barres chocolatées. Il y en a plein la ville.» OK. Je jetai un œil au passage. Bouteilles d'eau, en plus. Bon à savoir. Au-delà de Benjy's, commençait la station proprement dite.

Nous procurer nos passes ne fut pas aussi simple. Je m'approchai du guichet, avec Jane à mon bras. « Je voudrais acheter un passe. »

Et c'est là que les choses se compliquèrent.

D'abord, on me conseilla de prendre le passe d'une semaine, moins cher et plus pratique que le passe quotidien, à renouveler tous les jours. D'accord. Puis on me demanda dans quelle zone de Londres j'avais l'intention de circuler, mais ma fille vint à mon secours en criant dans l'hygiaphone : « Zone cinq !

- Photo ! jappa le préposé.

- Pardon ?

- Photo. Pour votre passe. »

Je pensai qu'il voulait une preuve de mon identité et lui montrai mon permis de conduire.

« Non, non. Il m'en faut une pour votre carte. » C'était la première fois que je lisais, sur le visage, l'expression « sois patient, c'est un Américain ».

« Il me faut une photo séparée. Pour l'insérer dans votre passe. Si vous n'en avez pas, vous pouvez en faire une dans cette cabine, en face. »

Livre lu dans le cadre du partenariat logotwitter_bigger - cherche_midi

5 décembre 2009

La Terre des mensonges - Anne Birkefeldt Ragde

la_terre_des_mensonges Balland – juin 2009 – 370 pages

traduit du norvégien par Jean Renaud

Présentation de l'éditeur

Un registre de condoléances était ouvert, un stylo posé en travers de la première page. Une photo encadrée de la défunte la montrait en blouson sur une plage de galets, tenant à la main une racine d'arbre grise qui avait l'air d'un cygne.» Après la mort de leur mère, trois frères que tout sépare se retrouvent dans la ferme familiale. Tor, l'aîné, se consacre à l'élevage de porcs, Margido dirige une entreprise de pompes funèbres et Erlend est décorateur de vitrines à Copenhague. Les retrouvailles s'annoncent mouvementées : la tension atteint son paroxysme lorsque la question de l'héritage amène le père de famille à révéler un terrible secret.

Auteur : Née en 1957, elle a passé son enfance à Trondheim, ancienne professeur assistante de communication à l'Université de Trondheim, elle a écrit plus de quarante livres depuis 1986 aussi bien pour les adultes que pour les enfants. Anne B. Ragde décrit les relations ambiguës entre les trois frères avec un talent remarquable et signe un roman passionnant à l'humour grinçant. La Terre des mensonges est le phénomène incontournable de la scène littéraire norvégienne (traduit dans plus de 15 langues, il a reçu en Norvège le très prestigieux prix Riksmal). II a été adapté au théâtre et à l'écran. Plus d'un million de téléspectateurs ont suivi cette saga familiale subtile et incroyablement bien menée. La suite paraîtra en 2010.

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Un livre assez original qui nous raconte l'histoire de trois frères très différents les uns les autres qui se retrouvent à la suite de l'hospitalisation puis le décès de leur mère. Cela commence par la description détaillée et précise de la vie de chacun des frères. Ainsi, dès les premières lignes du livre le lecteur est confronté au suicide d'un adolescent et nous accompagnons Margido dans son travail de croque-mort. Cela annonce dès le début l'atmosphère froide et sombre de cette campagne norvégienne et de cette histoire. Le plus jeune frère, Erlend, est parti il y a 20 ans s’exiler à Copenhague, il exerce la profession de décorateur de vitrines et partage sa vie avec un homme prénommé Krumme, rédacteur en chef d’un grand hebdomadaire. Le second, Margido dirige une entreprise de pompes funèbres et derrière une façade stricte et austère, il dissimule sa solitude affective. Le frère aîné, Tor, est resté à la ferme familiale, il s'occupe d'un élevage de porcs. Ses relations un peu particulières avec ses animaux témoignent du mal-être dans lequel il est. Depuis longtemps, les trois frères n'ont plus de relations les uns avec les autres et la mort de leur mère sera l’occasion d’étranges retrouvailles entre les trois frères.

L'écriture est fluide, les personnages attachants et l'histoire nous tient en haleine. C'est aussi une chronique sociale et ethnologique avec un humour grinçant, je ne me suis pas ennuyée un instant ! Et l'éditeur nous annonce une suite pour 2010.

Extrait : (début du livre)

Lorsque le téléphone sonna à dix heures et demie un dimanche soir, il en savait bien sûr la raison. Il prit la télécommande et baissa le son, la télé diffusait un reportage sur Al-Qaïda.

- Allo, Margido Neshov à l'appareil.

Et il pensa : j'espère que c'est une personne âgée morte dans son lit, pas un accident de la route.

Il s'avéra que ce n'était ni l'un ni l'autre, mais un adolescent qui s'était pendu. C'était le père qui appelait, Lars Kotum. Margido savait bien où se trouvait la grosse ferme de Kotum, à Bynes.

En fond sonore quelqu'un poussait des cris de bestiaux, perçants. Des cris qui, d'une certaine façon, lui étaient familiers : ceux d'une mère. Il demanda au père s'il avait prévenu le juge de paix et le médecin. Non, le père l'avait appelé aussitôt, lui, Margido, il savait qui il était et quelle profession il exerçait.

- Il faut quand même que vous leur téléphoniez, peut-être préférez-vous que je le fasse ?

- Il ne s'est pas pendu... normalement. Il s'est plutôt... étranglé. C'est absolument horrible. Oui, téléphonez ! Et venez ! Je vous en supplie.

Il ne prit pas le fourgon noir, mais la Citroën. Il valait mieux que le juge fasse venir une ambulance de l'hôpital Saint-Olav.

4 décembre 2009

Aya de Yopougon 5 - Marguerite Abouet et Clément Oubrerie

aya_5 Gallimard - novembre 2009 – 106 pages

Présentation :

A Abidjan les problèmes s'accumulent pour Aya : Mamadou fait le 'génito' pour la femme de son professeur de biologie, tandis que Félicité est séquestrée au village par son père. De son côté, Grégoire, le Parisien moisi, s'est fait recruter par un pasteur, fondateur de la très prospère 'Eglise Réformée de Dieu Zéro Malade'. Pendant ce temps à Paris, Innocent, l'aventureux coiffeur, découvre que l'homosexualité n'est peut-être pas aussi bien acceptée en France qu'il l'espérait...

Auteurs :
Marguerite Abouet
naît en 1971 à Abidjan. Elle grandit en famille dans le quartier populaire de Yopougon jusqu'à l'âge de douze ans. Puis, ses parents l'envoient avec son grand frère à Paris, où les héberge leur grand oncle. Elle y découvre avec émerveillement les bibliothèques et se passionne pour les livres. Elle écrit bientôt des romans qu'elle ne fait lire à personne, tout en devenant tour à tour punk, supernounou pour triplés, pour mamies et papis, serveuse, opératrice de saisie... Après une carrière d'assistante juridique, elle décide de se consacrer uniquement à l'écriture et crée, avec la complicité de Clément Oubrerie, le personnage d'Aya. Elle y raconte avec une voix et un humour inédits une Afrique loin des clichés, de la guerre et de la famine. En 2006, Aya de Yopougon est célébré par le prix du Premier album au Festival international de ta bande dessinée d'Angoulême. Marguerite Abouet vit aujourd'hui à Noisy le Sec, près de Paris. Elle écrit de nombreuses histoires pour le livre, la télévision et le cinéma. Elle travaille aussi beaucoup pour l'association qu'elle a fondée Des livres pour tous, dans le but de rendre le livre plus accessible aux enfants d'Afrique en y créant des maisons de quartier bibliothèques.

Clément Oubrerie naît à Paris en 1966. Après le bac, il entame des études d'art à l'école Penninghen, qu'il interrompt pour partir aux États-Unis. Il y passe deux années, exerce toutes sortes de métiers, mais finit dans un pénitencier au Nouveau-Mexique parce que sans papiers. De retour en France, il illustre des ouvrages pour la jeunesse - une quarantaine à ce jour - et co-fonde La Station, un studio d'animation avec lequel il prépare actuellement un long-métrage signé Anna Gavalda. Il trouve aussi le temps de jouer de la batterie avec un groupe de funk et de voyager, notamment en Côte d'Ivoire. Son talent singulier donne vie avec esprit et authenticité au récit de Marguerite Abouet.

Mon avis : (lu en décembre 2009)

Je me suis plongée dans ce nouvel album de Aya de Yopougon avec toujours le même plaisir. L’intrigue va tout azimut car on passe tout au long du livre d’un personnage à l’autre, cela donne du rythme à ce cinquième album. Innocent est toujours à Paris, il emménage avec jeune homme, Moussa est recherché par ses parents, Félicité a été ramenée de force par son géniteur au village, Grégoire a été recruté par la fausse l’Église Réformée de Dieu Aucun Malade… Toujours avec humour mais appelant à la réflexion et avec des expressions imagées Marguerite Abouet aborde de nombreux sujets comme le patriarcat, les fausses églises, l’homosexualité… Je n’oublie pas le dessin de Clément Oubrerie drôle et coloré qui évoque si bien l’Afrique vivante. Comme toujours à la fin, il y a le « bonus ivoirien » avec un lexique, un article sur les églises en Afrique et la recette traditionnelle du « biékosseu ». Que du plaisir ! Et maintenant, j’attends avec impatience la parution de l’épisode suivant !

Extrait :

aya_5_1

Aya de Yopougon

Aya de Yopougon 2

Aya de Yopougon 3

Aya de Yopougon 4

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 > >>
A propos de livres...
Publicité
A propos de livres...
Newsletter
55 abonnés
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 1 376 305
Publicité