Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A propos de livres...
2 mars 2009

La mort du Roi Tsongor – Laurent Gaudé

la_mort_du_roi_tsongor la_mort_du_roi_tsongor_p

Actes Sud - août 2002 – 204 pages

Babel - décembre 2004 - 204 pages

Prix Goncourt des Lycéens 2002

Présentation de l’éditeur
Dans une Antiquité imaginaire, le vieux Tsongor, roi de Massaba, souverain d’un empire immense, s’apprête à marier sa fille. Mais au jour des fiançailles, un deuxième prétendant surgit. La guerre éclate : c’est Troie assiégée, c’est Thèbes livrée à la haine. Le monarque s’éteint; son plus jeune fils s’en va parcourir le continent pour édifier sept tombeaux à l’image de ce que fut le vénéré – et aussi le haïssable – roi Tsongor.
Roman des origines, récit épique et initiatique, le livre de Laurent Gaudé déploie dans une langue enivrante les étendards de la bravoure, la flamboyante beauté des héros, mais aussi l’insidieuse révélation, en eux, de la défaite. Car en chacun doit s’accomplir, de quelque manière, l’apprentissage de la honte.

L'auteur : Romancier et dramaturge, Laurent Gaudé a publié chez Actes Sud plusieurs pièces de théâtre : Combats de possédés (1999), Onysos le furieux (2000), Pluie de cendres (2001), Cendres sur les mains (2002), Le Tigre bleu de l'Euphrate (2002), Salina (2003), Médée Kali (2003), Les Sacrifiées ; et deux romans : Cris (2001) et La Mort du roi Tsongor (2002, prix Goncourt des lycéens 2002, prix des Libraires 2003).

Mon avis : (lu en mars 2005) 
Ce livre est un récit fabuleux où se mêlent l’aventure, l’honneur, la guerre et la folie des hommes. C’est à la fois un conte initiatique et philosophique. Les personnages sont magnifiques et il y beaucoup d’humanité dans ce livre. Le style est fluide, riche et d'une précision incroyable, l'ensemble est poignant et inoubliable. A lire absolument !

Extrait :
D’ordinaire, Katabolonga était le premier à se lever dans le palais. Il arpentait les couloirs vides tandis qu’au-dehors la nuit pesait encore de tout son poids sur les collines. Pas un bruit n’accompagnait sa marche. Il avançait sans croiser personne, de sa chambre à la salle du tabouret d’or. Sa silhouette était celle d’un être vaporeux qui glissait le long des murs. C’était ainsi. Il s’acquittait de sa tâche, en silence, avant que le jour ne se lève.

Mais ce matin-là, il n’était pas seul. Ce matin-là, une agitation fiévreuse régnait dans les couloirs. Des dizaines et des dizaines d’ouvriers et de porteurs allaient et venaient avec précaution, parlant à voix basse pour ne réveiller personne. C’était comme un grand navire de contrebandiers qui déchargeait sa cargaison dans le secret de la nuit. Tout le monde s’affairait en silence. Au palais de Massaba, il n’y avait pas eu de nuit. Le travail n’avait pas cessé.

Depuis plusieurs semaines, Massaba était devenue le cœur anxieux d’une activité de fourmis. Le roi Tsongor allait marier sa fille avec le prince des terres du sel. Des caravanes entières venaient des contrées les plus éloignées pour apporter épices, bétail et tissus. Des architectes avaient été diligentés pour élargir la grande place qui s’étendait devant la porte du palais. Chaque fontaine avait été décorée. De longues colonnes marchandes venaient apporter des sacs innombrables de fleurs. Massaba vivait à un rythme qu’elle n’avait jamais connu. Au fil des jours, sa population avait grossi. Des milliers de tentes, maintenant, se tenaient serrées le long des remparts, dessinant d’immenses faubourgs de tissu multicolores où se mêlaient le cri des enfants qui jouaient dans le sable et les braiements du bétail. Des nomades étaient venus de loin pour être présents en ce jour. Il en arrivait de partout. Ils venaient voir Massaba. Ils venaient assister aux noces de Samilia, la fille du roi Tsongor.

Depuis des semaines, chaque habitant de Massaba, chaque nomade avait déposé, sur la place principale, son offrande à la future mariée. C’était un gigantesque amas de fleurs, d’amulettes, de sacs de céréales et de jarres de vin. C’était une montagne de tissus et de statues sacrées. Chacun voulait offrir à la fille du roi Tsongor un gage d’admiration et une prière de bénédiction.

Or, en cette nuit-là, les serviteurs du palais avaient été chargés de vider la place de toutes ces offrandes. Il ne devait plus rien rester. Le vieux roi de Massaba voulait que l’esplanade soit décorée et resplendissante. Que tout son parvis soit jonché de roses. Que sa garde d’honneur y prenne place en habit d’apparat. Le prince Kouame allait envoyer ses ambassadeurs, pour déposer aux pieds du roi les présents qu’il offrait. C’était le début de la cérémonie nuptiale, la journée des présents. Tout devait être prêt.

Les serviteurs du palais, toute la nuit, n’avaient cessé de faire des allers-retours, entre la montagne de cadeaux de la place et les salles du palais. Ils transportaient ces centaines de sacs, de fleurs et de bijoux. Ils disposaient le plus harmonieusement possible, en prenant bien soin de ne pas faire de bruit, les amulettes, les statues et les tapisseries dans les différents appartements du palais. Il fallait que la grande place soit vide. Et que le palais, lui, soit riche de ces signes d’affection du peuple. Il fallait que la princesse Samilia se réveille dans un palais aux mille parfums et couleurs. C’était à cela que travaillaient, silencieusement, les longues colonnes de porteurs. Ils devaient finir avant que la princesse et sa suite ne se réveillent. Le temps commençait à manquer. Car ils avaient croisé et reconnu, pour certains d’entre eux, Katabolonga. Ils savaient que si Katabolonga était debout, c’est que le jour n’allait pas tarder à se lever et avec lui, le roi Tsongor. Aussi, au fur et à mesure que Katabolonga avançait dans les couloirs du palais, au fur et à mesure qu’il se rapprochait de la salle du tabouret d’or, l’agitation croissait et les serviteurs se faisaient de plus en plus rapides et affairés.

Katabolonga, lui, n’était touché par aucune anxiété. Il marchait lentement comme à l’accoutumée. Au rythme calme qui était le sien. Il savait qu’il avait le temps. Que le jour ne se lèverait pas tout de suite. Il savait - comme tous les jours depuis des années - qu’il serait prêt, assis au chevet du roi lorsque celui-ci ouvrirait les yeux. Il pensait simplement que c’était la première fois, et certainement la dernière, qu’il croisait tant d’hommes lors de sa marche nocturne et que le bruit de ses pas était accompagné de tant de murmures.

Mais lorsque Katabolonga entra dans la salle du tabouret d’or, il se figea brusquement. L’air qui lui caressait le visage lui murmurait quelque chose qu’il ne parvenait pas à comprendre. Au moment où il avait ouvert la porte, il lui avait semblé, le temps d’un instant, que tout allait finir. Il se reprit. Traversa la pièce pour prendre le tabouret d’or, mais à peine eut-il saisi la relique, qu’il dut la lâcher. Le tremblement qui lui parcourut les bras lui dit, à nouveau, que tout allait finir. Cette fois, il écouta ce sentiment monter en lui. Il écouta et le trouble s’empara de lui. Il écouta. Et il sut qu’aujourd’hui, effectivement, tout allait cesser. Il sut qu’aujourd’hui il tuerait le roi Tsongor. Qu’aujourd’hui était le jour auquel il avait pensé échapper. Il comprit que ce jour était le dernier où le roi se lèverait, le dernier où lui, Katabolonga le sauvage, le suivrait de salle en salle, marchant toujours sur ses pas, veillant sur ses moindres fatigues, écoutant ses soupirs et s’acquittant de la plus honorifique des tâches. Le dernier jour où il serait le porteur du tabouret d’or.

Il se releva. Essayant de faire taire le trouble qui était né en lui. Il saisit le tabouret et parcourut les couloirs du palais. Les mâchoires serrées sur cette conviction obscure qu’aujourd’hui était le jour où il tuerait son ami, le roi Tsongor.

Lorsque Tsongor se leva, il eut immédiatement le sentiment que cette journée serait trop courte pour qu’il puisse s’acquitter de tout ce qu’il avait à faire. Il respira profondément. Il savait que le calme ne lui serait plus offert jusqu’au soir. Il salua Katabolonga qui se tenait à ses côtés. Et ce visage lui fit du bien. Il salua Katabolonga, mais celui-ci, au lieu de lui rendre son salut et de lui présenter son collier royal, comme il le faisait chaque matin, lui murmura à voix basse :
"Tsongor, je veux te parler.
- Je t’écoute, répondit le roi.
- C’est pour aujourd’hui, mon ami", dit Katabolonga.
La voix du porteur avait quelque chose d’étrange, mais Tsongor n’y prêta pas attention. Il dit simplement : "Je sais." Et la journée commença.

Challenge Prix Goncourt des Lycéens
2002
Challenge Goncourt des Lycéens
goncourt_lyceen_enna
chez Enna

Publicité
Publicité
Commentaires
A propos de livres...
Publicité
A propos de livres...
Newsletter
55 abonnés
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 1 376 467
Publicité