La consolante – Anna Gavalda
Le Dilettante – mars 2008 - 636 pages
Présentation de l'éditeur
« Charles Balanda, 47 ans, architecte à Paris, apprend incidemment la mort d'une femme qu'il a connue quand il était enfant, et adolescent.
« Il déchire la lettre et la jette dans la poubelle de la cuisine. Quand il relève son pied de la pédale et que le couvercle retombe, clac, il a l’impression d’avoir refermé, à temps, une espèce de boîte de Pandore, et, puisqu’il est devant l’évier, s’asperge le visage en gémissant.
Retourne ensuite vers les autres. Vers la vie. Se sent mieux déjà. Allez... C’est fini.
C'est fini, tu comprends ?»
Le problème, c'est que non, il ne comprend pas. Et il n'y retourne pas, vers la vie. Il perd l’appétit, le sommeil, abandonne plans et projets et va essayer de comprendre pourquoi tour se fissure en lui; Et autour de lui. Commence alors un long travail de deuil au bout duquel il est obligé de se rendre à l’évidence : l’échelle de cette vie-ci est illisible et il faut tout rebâtir.»
Biographie de l'auteur
Anna Gavalda est née le 9 décembre 1970. Elle vit dans la région parisienne. Elle a deux enfants très mignons et écrit quand ils sont à l'école. Le reste du temps, elle regarde les gens vivre. Ensemble, c'est tout est son quatrième livre après Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part, Je l'aimais (Le Dilettante) et 35 kilos d'espoir (Bayard jeunesse)
Mon avis : (lu en mai 2008)
La première partie du livre est difficile à lire car le style est brouillon, haché, cela part dans tous les sens... en fait cela reflète complètement l'état d'esprit de Charles. Il faut donc s'accrocher et persévérer pendant une centaine de pages. Ensuite, le style se fluidifie et on savoure avec bonheur la suite de l'histoire et on regrette d'arriver si vite à la fin du livre ! Les personnages sont vraiment attachants et on retrouve avec délice la magie d'Ensemble c'est tout.
Extrait :
Il se tenait toujours à l’écart. Là-bas, loin des grilles, hors de notre portée. Le regard fiévreux et les bras croisés. Plus que croisés même, refermés, crochetés. Comme s’il avait eu froid ou mal au ventre. Comme s’il s’agrippait à lui-même pour ne pas tomber.
Nous bravait tous mais ne regardait personne. Cherchait la silhouette d’un seul petit garçon en tenant fermement un sachet en papier contre son cœur.
C’était un pain au chocolat, je le savais bien, et me demandais à chaque fois s’il n’était pas tout écrasé, à force…
Oui, c’était à cela qu’il se retenait, à la cloche, à leur mépris, au détour par la boulangerie et à toutes ces petites taches de gras à son revers comme autant de médailles, inespérées.
Inespérées…
Mais… Comment pouvais-je le savoir à l’époque ?
À l’époque, il me faisait peur. Ses chaussures étaient trop pointues, ses ongles trop longs et son index trop jaune. Et ses lèvres trop rouges. Et son manteau trop court et bien trop serré.
Et le tour de ses yeux trop sombre. Et sa voix trop bizarre.
Quand il nous apercevait enfin, souriait en ouvrant les bras. Se penchait en silence, touchait ses cheveux, ses épaules, son visage. Et, pendant que ma mère m’amarrait fermement à elle, je recomptais, fasciné, toutes ses bagues sur les joues de mon ami.
Il en avait une à chaque doigt. De vraies bagues, belles, précieuses, comme celles de mes grands-mères… C’était toujours à ce moment-là qu’elle se détournait horrifiée et que moi, je lâchais sa main. Alexis, lui, non. Ne se dérobait jamais. Lui tendait son cartable et mangeait son goûter de l’autre, la vacante, en s’éloignant vers la place du Marché.
Alexis, avec son extraterrestre en talonnettes, son monstre de foire, son bouffon des primaires, se sentait plus en sécurité que moi, et était mieux aimé.
Croyais-je.
Un jour quand même, je le lui avais demandé :
– Mais, euh, c’est… c’est un monsieur ou une dame ?
– De qui ?
– De… le… la… celui qui vient te chercher le soir ?
Il avait haussé les épaules.
Un monsieur bien sûr. Mais qu’il appelait sa nounou.
Et elle, sa nounou, elle avait promis par exemple de lui rapporter des osselets en or et il me les échangerait contre cette bille-là, si je voulais, ou, tiens… elle est en retard, ma nounou aujourd’hui… J’espère qu’elle n’a pas perdu ses clefs… Parce qu’elle perd toujours tout, tu sais… Elle dit souvent qu’un jour, elle oubliera sa tête chez la coiffeuse ou dans une cabine du Prisunic et après elle rit, elle dit que heureusement, elle a des jambes !
Mais un monsieur, tu vois bien.
Quelle question…
Je n’arrive pas à me souvenir de son nom. C’était quelque chose d’extraordinaire pourtant…
Un nom de music-hall, de velours lâche et de tabac froid. Un nom comme Gigi Lamor ou Gino Cherubini ou Rubis Dolorosa ou…
Je ne sais plus et j’enrage de ne plus savoir. Je suis dans un avion pour le bout du monde, je dois dormir, il faut que je dorme. J’ai pris des médicaments pour ça. Je n’ai pas le choix, je vais crever sinon. Je n’ai pas fermé l’oeil depuis tellement long… et je…
Je vais crever.
Mais rien n’y fait. Ni la chimie, ni le chagrin, ni l’épuisement. À plus de trente mille pieds, si haut dans le vide, je lutte encore comme un imbécile à tisonner des souvenirs mal éteints. Et plus je souffle plus les yeux me piquent, et moins j’y vois, plus bas je m’agenouille encore.
Ma voisine m’a déjà demandé à deux reprises d’éteindre ma veilleuse. Pardon, mais non. C’était il y a quarante ans, madame… Quarante ans, vous comprenez ? J’ai besoin de lumière pour retrouver le nom de ce vieux travelo. Ce nom génial que j’ai oublié évidemment, puisque je l’appelais Nounou moi aussi. Et que j’adorais, moi aussi. Parce que c’était comme ça chez eux : on adorait.
Nounou qui était apparu dans leur vie en ruine, un soir d’hôpital.
Nounou qui nous avait gâtés, pourris, nourris, gavés, consolés, épouillés, hypnotisés pour de vrai, envoûtés et désenvoûtés mille fois. Touché les paumes, tiré les cartes, promis des vies de sultans, de rois, de nababs, des vies d’ambre et de saphirs, de poses alanguies et d’amours exquises, et Nounou qui en était sorti un matin de façon dramatique.
Dramatique comme il se doit. Comme il se le devait. Comme tout se devait avec eux.
Mais je… Plus tard. Je le dirai plus tard. Là, je n’ai pas la force. Et puis je n’ai pas envie. Je ne veux pas les reperdre maintenant. Rester encore un peu sur le dos de mon éléphant en Formica, avec mon coutelas de cuisine fiché dans mon pagne, ses chaînes, ses fards et tous ses turbans de l’Alhambra.
J’ai besoin de sommeil et j’ai besoin de ma loupiote. J’ai besoin de tout ce que j’ai perdu en cours de route. De tout ce qu’ils m’ont donné, et repris.
Et puis gâché aussi…
Parce que, oui, c’était comme ça dans leur monde. C’était ça, leur loi, leur Credo, leur vie de mécréants. On adorait, on se cognait, on pleurait, on dansait toute la nuit et tout s’embrasait.
Tout.
Il ne devait rien rester. Rien. Jamais. Nada. Des bouches amères, plissées, cassées, tordues, des lits, de la cendre, des visages défaits, des heures à pleurer, des années et des années de solitude, mais pas de souvenirs. Surtout pas. Les souvenirs, c’était pour les autres.
Les frileux. Les comptables.
« Les plus belles fêtes, vous le verrez mes bichons, sont oubliées au matin, disait-il, les plus belles fêtes, c’est pendant la fête. Le matin, ça n’existe pas. Le matin, c’est quand on prend le premier métro en se faisant de nouveau agresser. »
Et elle. Elle. Elle parlait tout le temps de la mort. Tout le temps… Pour la défier, pour la crever, cette salope. Parce qu’elle le savait, qu’on allait tous y passer, c’était sa vie de le savoir, et c’était pour ça qu’il fallait se toucher, s’aimer, boire, mordre, jouir et tout oublier.
« Mettez le feu, les gosses. Mettez-moi le feu à tout ça. »
C’est sa voix et je… je l’entends encore.
Des sauvages.
***
Il ne peut pas éteindre. Ni fermer les yeux. Il va devenir, non, il est en train de devenir fou. Il le sait. Se surprend dans le noir du hublot et…
– Monsieur… Ça va ?
Une hôtesse lui touche l’épaule. Pourquoi m’avez-vous abandonné ?
– Ça ne va pas ?
Il voudrait lui répondre que si, que tout va bien, merci, mais il ne peut pas : il pleure.
Enfin.
La Princesse des glaces - Camilla Läckberg
Actes Sud – mai 2008 – 382 pages
Traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain
Présentation de l'éditeur
Erica Falck, trente-cinq ans, auteur de biographies installée dans une petite ville paisible de la côte ouest suédoise, découvre le cadavre aux poignets tailladés d'une amie d'enfance, Alexandra Wijkner, nue dans une baignoire d'eau gelée. Impliquée malgré elle dans l'enquête (à moins qu'une certaine tendance naturelle à fouiller la vie des autres ne soit ici à l'œuvre), Erica se convainc très vite qu'il ne s'agit pas d'un suicide. Sur ce point - et sur beaucoup d'autres -, l'inspecteur Patrik Hedström, amoureux transi, la rejoint. A la conquête de la vérité, stimulée par un amour naissant, Erica, enquêtrice au foyer façon Desperate Housewives, plonge clans les strates d'une petite société provinciale qu'elle croyait bien connaître et découvre ses secrets, d'autant plus sombres que sera bientôt trouvé le corps d'un peintre clochard - autre mise en scène de suicide. Au-delà d'une maîtrise évidente des règles de l'enquête et de ses rebondissements, Camilla Läckberg sait à merveille croquer des personnages complexes et - tout à fait dans la ligne de créateurs comme Simenon ou Chabrol - disséquer une petite communauté dont la surface tranquille cache des eaux bien plus troubles qu'on ne le pense.
Biographie de l'auteur
Camilla Läckberg, née le 30 août 1974, est à ce jour l'auteur de cinq polars (donc "Le Prédicateur") ayant pour héroïne Erica Falck et dont l'intrigue se situe toujours à Fjälbacka, port de pêche de la côte ouest en Suède, qui eut son heure de gloire mais désormais végète. En Suède, tous ses ouvrages se sont classés parmi les meilleures ventes de ces dernières années, au coude à coude avec Millénium de Stieg Larsson.
Mon avis : (lu en février 2009)
Des comparaisons sont faites avec Millenium… mais n’ayant pas encore commencé Millenium, la seule ressemblance que j’y vois c’est la couverture du livre et la nationalité de l’auteur ! J'ai bien aimé ce roman policier : j'ai apprécié l'ambiance de "Fjällbacka", petite ville de la côte Suédoise, les personnages sont attachants en particulier Erica.
Beaucoup de sensibilité mais aussi d'humour dans cette histoire, le scénario est excellent et le dénouement particulièrement surprenant et inattendu.
L'auteur ayant déjà écrit cinq romans policiers ayant Erica Falck comme héroïne, j'attends avec impatience l'édition en français des prochains !
Extrait : (page 61)
"Il prit doucement une mèche de ses cheveux et la réchauffa entre ses doigts. De petits cristaux de glace fondirent et mouillèrent ses paumes. Doucement il lécha l'eau.
Il appuya la joue contre le bord de la baignoire et sentit le froid mordre sa peau. Elle était si belle. Flottant ainsi sur la couche de glace.
Le lien entre eux était toujours là. Rien n'avait changé. Rien n'était différent. Deux êtres de la même espèce.
Il eut du mal à retourner la main pour ensuite placer leurs paumes l'une contre l'autre. Il entremêla ses doigts aux siens. Le sang était sec et figé, et de petits fragments vinrent se coller sur sa peau.
Le temps n'avait jamais eu d'importance avec elle. Les années, les jours ou les semaines finissaient par former une bouillasse informe où la seule chose qui comptait était ceci. Sa main à elle contre sa main à lui. Voilà pourquoi la trahison était si douloureuse."