Les saisons de la nuit - Colum McCann
Belfond - 7 janvier 1999 - 321 pages
Traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Claude Peugeot
Résumé : New York, début du xxe siècle : les bâtisseurs de gratte-ciel et les ouvriers du métro œuvrent inlassablement pour donner forme à Big Apple. Parmi ces travailleurs qui risquent leur peau au quotidien, Nathan Walker, un terrassier de 19 ans qui construit le tunnel de la ligne Brooklyn-Manhattan. New York, fin du xxe siècle : des milliers de sans-abri vivent dans les entrailles du métro. Parmi eux, le mystérieux Treefrog, dont la vie n'est pas sans lien avec celle de Nathan Walker... À la fois chant d'amour adressé à New York et mise en perspective historique de l'ingratitude d'une ville à l'égard de ceux qui la façonnèrent, Les saisons de la nuit est un roman bouleversant sur ces déchets du capitalisme que sont les sans-abri. Un grand roman urbain, un grand roman humain.
Auteur : Colum McCann est né à Dublin en 1965. Après des études de journalisme, il travaille d'abord comme journaliste dans la presse irlandaise, dans les années quatre-vingt, avant de s'embarquer pour un tour des États-Unis à bicyclette qui va durer deux ans. C'est de cette expérience, sur les pas de Kerouac, qu'il va tirer Sisters (Sours, dans la Rivière de l'exil, 10/18), son premier récit (et premier livre) avec lequel il remporte plusieurs prix littéraires prestigieux. Il est ensuite salué unanimement par la critique et le public comme une des nouvelles voix les plus prometteuses de sa génération pour ses deux romans, Le Chant du coyote et Les saisons de la nuit. Ironie du sort, Colum McCann a quitté l'Irlande, en partie à cause de sa violence, pour New York, où il habite à quelques blocks des ex-Twin Towers de Manhattan.
Mon avis : 5/5 (lu en janvier 2008)
Ce livre est fabuleux, très bien construit, énigmatique et émouvant. Les personnages sont attachants. On nous raconte au début du XXème siècle la vie de Nathan Walker, il est noir et travaille à la construction du tunnel de la ligne de métro qui relie Manhattan et Brooklyn à New York. C'est l'histoire de Nathan et sa famille, la vie à Harlem, les lois raciales... En parallèle, à la fin du XXème siècle, c'est l'histoire de Treefrog, un clochard qui vit dans les tunnels de New York. Ces deux histoires vont finir par se rejoindre...
L'histoire est "juste", dramatique et inoubliable. Les émotions sont très fortes, on a souvent les larmes aux yeux mais ce livre est à lire absolument !
Extrait :
1991
Le soir qui précéda la première chute de neige, il vit un grand oiseau gelé dans les eaux de l'Hudson. Il savait bien que ce devait être une oie sauvage ou un héron, mais il décida que c'était une grue. Le cou était replié sous l'aile et la tête plongeait dans le fleuve. Il scruta la surface de l'eau, et se représenta la forme antique et décorative du bec. L'oiseau avait les pattes écartées et une aile déployée comme s'il avait essayé de prendre son vol à travers la glace.
Treefrog trouva des briques au bord du chemin qui longeait le fleuve ; il les brandit bien haut et les lança autour de l'oiseau. La première rebondit, puis glissa sur la glace, mais la deuxième en rompit la surface et la grue s'anima un instant. Les ailes tressaillirent à peine. Le cou décrivit avec raideur un arc de cercle majestueux, et la tête, grise et boursouflée, émergea de l'eau. Treefrog fit pleuvoir les briques sur la glace avec une détermination féroce jusqu'à ce que l'oiseau soit entraîné plus loin, à un endroit où le fleuve coulait.
Relevant ses lunettes de soleil sur son front, il le regarda s'éloigner au fil de l'eau. Il savait bien que l'oiseau allait sombrer dans les profondeurs de l'Hudson ou rester de nouveau bloqué dans les glaces, mais il tourna le dos et s'en fut à travers le parc désert. Il donna des coups de pied dans des détritus, toucha l'écorce glacée d’un pommier sauvage, arriva à l'entrée du tunnel et ôta ses deux pardessus. Puis il se glissa par une brèche dans la grille de fer et se faufila à l'intérieur.
Le tunnel était haut et large, sombre et familier. Il n'y avait pas un bruit. Treefrog longea la voie de chemin de fer jusqu'à un gros pilier de béton. Il le tâta des deux mains et attendit un instant que ses yeux s’habituent à l'obscurité ; puis il s'accrocha à une prise et se hissa avec une force spectaculaire. Il avança sur la poutrelle dans un équilibre parfait, atteignit une autre passerelle et se propulsa plus haut encore une fois.
Dans l'obscurité de son nid, tout en haut du tunnel, il alluma une petite flambée avec des brindilles et du papier journal. La soirée était avancée. Un train gronda au loin.
Quelques crottes de rat s'étaient amassées sur la table de chevet, et il les fit tomber avant d'ouvrir le tiroir. Des profondeurs du tiroir, il sortit un petit sac à bijoux violet et en dénoua le cordon jaune. Il réchauffa un instant l'harmonica au-dessus de la flamme dans son poing ganté. Il le porta à sa bouche, vérifia qu'il avait tiédi, et aspira une bouffée d'air du tunnel. Le Hohner glissa le long de ses lèvres. Sa langue pointa furtivement contre les tuyaux, et les tendons de son cou resplendirent. Il sentait la musique l’habiter, s'imposer à travers lui. Une vision de sa fille surgit soudain - elle était là, elle écoutait, elle faisait partie de sa musique, assise les genoux repliés sur la poitrine, se balançant d'avant en arrière en une extase enfantine - et il repensa à la grue gelée dans le fleuve.
Assis là, dans son nid, dans l'obscurité pleine de miasmes, Treefrog se mit à jouer, recomposant l'atmosphère, rendant aux tunnels leur musique originelle.
L’Exil est mon pays - Isabelle Alonso
Héloïse d’Ormesson - août 2006 - 297 pages
Quatrième de couverture : Une fillette raconte le parcours du combattant de ses parents, Angel et Libertad, réfugiés venus en France pour échapper à la dictature franquiste. Avec ses mots d'écolière, elle explique comment, à peine arrivés, ils durent démarrer une nouvelle guerre, non plus pour leurs idées mais pour leur identité.
Elle tente de déchiffrer ce monde où les sentiments, les ressentiments sont à la taille des grands. Dans sa petite tête un champ de points d'interrogation. Étrangère, qu'est-ce que cela signifie au juste ? Perception enfantine touchante et drôle de la différence, du courage des parents, mais aussi des lâchetés et des peurs de tous.
Et puis, il y a la langue. Celle d'un pays que l'on ne quitte jamais vraiment, et qui vous ramène sans cesse d'où vous voulez ou devez partir. Et cette autre langue, apprise par devoir et utilisée avec bonheur pour décrire ceux dont l'ailleurs est le pays.
Auteur : Isabelle Alonso est née en Bourgogne de parents espagnols réfugiés politiques, est devenue française à l'âge de huit ans par naturalisation. Elle est aujourd'hui chroniqueuse à la radio et à la télévision. L'Exil est mon pays est son troisième roman.
Mon avis : (lu en janvier 2009)
Extrait : (page 190)
"Quand on rentrait de l'école, le goûter nous attendait. Maman s'asseyait avec nous, pour notre dernier cours de la journée. Elle avait des thèmes de prédilection, répétés encore et encore jusqu'à ce qu'ils fassent partie intégrante de la matière même de nos fibres cérébrales. En prévision de l'avenir, qui réserve parfois de lugubres surprises, elle nous tissait jour après jour du cordon ombilical transversal, entre enfants. Si jamais elle venait à disparaître, ou papa, ou les deux, elle voulait nous savoir liés les uns aux autres comme une cordée de haute montagne, les uns repêchant les autres au gré des chutes ou des naufrages toujours possibles... Les frères et soeurs doivent être unis. S'entraider toujours et ne jamais se mentir. Les plus grands protègent les plus petits, les plus petits soutiennent les plus grands. Chacun ses responsabilités. Chacun son devoir. Jamais on ne doit chercher à s'y soustraire. Une famille, c'est comme ça et pas autrement. Elle peaufinait l'oeuvre de sa vie entre une tartine et un bol de chocolat."
A travers son regard d'enfant, Isabelle Alonso nous raconte dans un récit touchant une enfance d'enfants d'émigrés. Il est question de l’identité et de l’intégration
Ce livre se lit très facilement et nous fait souvent sourire.
C'est un roman qui est certainement proche d'un récit autobiographique.
Magasin général - Régis Loisel et Jean-Louis Tripp
Au départ Magasin Général devait être une série de 3 albums finalement ce sera une série de 6 albums. A ce jour, 4 albums ont été publiés. Loisel et Tripp ont concocté ensemble, avec une gourmandise très communicative, une chronique énergétique et très humaine, peuplée de personnages intenses et savoureux. Leur attachement partagé pour le Québec - Loisel y réside, Tripp y a enseigné - a servi de moteur à cette histoire truculente, qui ne ressemble à rien de ce que l'un ou l'autre a publié auparavant. Fondée sur la complémentarité de leurs savoir-faire, leur collaboration porte autant sur le texte que sur le dessin, et se nourrit du meilleur de leurs talents respectifs. Sur l'intérieur des couvertures (je ne sais pas si le terme est juste) sont reproduits en vis-à-vis les story- boards crayonnés de Loisel (page de gauche) et les encrages de Tripp (en bichromie sur la page de droite) qui témoignent de l'originalité de cette collaboration.
tome 1 : Marie (lu en septembre 2007)
Casterman – mars 2006 – 76 pages
Dans la campagne québécoise des années 20, à Notre-Dame-des-Lacs, au printemps, Félix Ducharme vient de mourir. Il tenait le magasin général du village, avec sa femme, Marie. Sous la pression des habitants, celle-ci reste malgré tout au village pour garder le magasin ouvert. Dès le lendemain, tous les habitants viennent au magasin pour leurs emplettes quotidiennes, et Marie se sent brutalement submergée. Elle décide de prendre comme commis Gaëtan, le fils du maire, un garçon simple d'esprit et très serviable. Et la vie au village continue, presque comme avant, au rythme des saisons. L'été passe, puis l'automne, puis vient l'hiver qui annonce le départ des hommes...
tome 2 : Serge (lu en septembre 2007)
Casterman – octobre 2006 – 68 pages
Marie recueille un homme qu’elle a croisé, immobilisé sur une route en rase campagne en pleine nuit suite à une panne de moto. C’est Serge. Ce deuxième tome s’ouvre sur son réveil qui ne passe pas inaperçu, le trio de bigotes locales ne tardant pas à s’offusquer auprès de l’autorité religieuse de la présence de cet homme sous le toit d'une jeune veuve. La curiosité mêlée à une méfiance de bon aloi, c’est selon, sera la première réaction que suscitera cet « extérieur » qui s’avère avoir un vécu assez dense. En l’absence de la majorité des hommes valides partis au bois pour l’hiver, ses savoirs, son implication dans la vie locale et sa faculté d’adaptation faciliteront grandement son intégration. Dans le même temps, sa délicatesse toute en retenue parait apprivoiser Marie. Dès lors, l’avarie mécanique qui le maintenait au village n’est plus le seul motif le poussant à rester, il va s’employer à donner un second souffle au magasin général et par là même à sa gérante. Ponctuellement, la « voix off » du défunt Félix prend à témoin le lecteur pour lui faire part de son ressenti.
tome 3 : Les hommes (lu en décembre 2007)
Casterman – octobre 2007 – 76 pages
C'est le mois de mars à Notre-Dame-des-lacs. Partout la nature s'ébroue, l'énergie stimule les êtres vivants - les êtres humains comme les animaux. C'est aussi l'époque où les hommes du village reviennent de leur "campagne d'hiver". Comment vont-ils comprendre et accepter l'irruption dans leur univers de Serge Brouillet, ce "Français de France", qui s'est mis en tête d'ouvrir un restaurant dans leur village après avoir été recueilli au début de l'hiver par Marie, la veuve du magasin général ?
tome 4 : Confessions (lu en novembre 2008)
Casterman – octobre 2008 – 66 pages
Le printemps est revenu à Notre-Dame-des-Lacs et tout le village se retrouve réuni à l'occasion d'un baptême. Après avoir failli être chassé de la petite communauté, Serge Brouillet, ce "Français de France", est maintenant parfaitement accepté de tous. Au point de se voir désormais, avec Marie, la jeune veuve du Magasin Général, soumis avec insistance à la question : quand vont-ils donc se marier et régulariser leur situation ?
Auteurs :
Régis Loisel est né dans les Deux-Sèvres en 1951. Il signe ses premiers travaux au milieu des années 70 lors de l'éclosion de la bande dessinée "adulte" dans diverses publications de l'époque (Mormoil, Pilote, Tousse-Bourin, etc.), mais c'est à partir du début des années 80 que sa carrière "décolle" réellement avec la série La Quête de l'oiseau du temps (Dargaud), scénarisée par Serge Le Tendre. Il est également l'auteur de Peter Pan (Vents d'Ouest), autre série à succès, et de divers one-shots tels que Troubles Fêtes (Les Humanoïdes Associés). Il a également collaboré à divers longs métrages d'animation et a été distingué en 2003 par le Grand Prix de la Ville d'Angoulême. Il réside à Montréal, au Canada.
Jean-Louis Tripp est né à Montauban en 1958. Il publie ses premières histoires courtes au tournant des années 70 et 80, notamment dans Métal Hurlant et chez Futuropolis. Sa première série, Jacques Gallard, paraît chez Milan à partir de 1983. Il contribue ensuite à divers albums collectifs dont Le Violon et l'archer chez Casterman en 1990, signe le récit de voyage illustré La Croisière verte (Glénat), puis bifurque vers la peinture, la sculpture et l'enseignement, avant de revenir à la bande dessinée en 2002 via sa collaboration avec Didier Tronchet {Le Nouveau Jean-Claude, Albin Michel).
Mon avis : 5/5
Les dessins sont vraiment superbes, pleins de rondeurs et très détaillés. L'adaptation des dialogues en québécois de Jimmy Beaulieu ajoute de la véracité à l'ambiance agréable et plaisante, on se projette très facilement au Québec dans ce village isolé. Cette BD est aussi un récit historique qui vous renseigne sur la vie dans la campagne québécoise dans les années 20. Un vrai dépaysement, on nous raconte le quotidien des habitants de ce village. Les personnages sont très attachants au travers une histoire toute simple mais prenante et pleine de poésie. Je suis vraiment sous le charme... et j'attends avec impatience la suite de l'histoire. A découvrir absolument !